Textes de François d’Assise

 (ADMONITION, p. 77).

…nous n’avons plus rien d’autre à faire que nous appliquer à suivre la volonté du Seigneur et à lui plaire.

(PRIERE, p. 174).

Seigneur, je t’en prie, que la force brûlante et douce de ton amour prenne possession de mon âme et l’arrache à tout ce qui est sous le ciel [Job 28, 24 ; 41, 2] afin que je meure par amour de ton amour, comme tu as daigné mourir par amour de mon amour. [note : emploi répété par Sainte Gertrude de cet amor amoris ainsi que  du verbe absorbere dans le même sens assez complexe de détacher, ravir et dissoudre.]

Dans la masse des témoignages et vies écrites dans le siècle qui suivit la mort de François, se détache le manuscrit 1046 de Pérouse, mis en valeur plus tardivement encore que le Speculum, par le P. Delorme, en 1922. Ce témoignage du frère Léon, de ton simple et sans intention moralisante, est un portrait émouvant et profond, « dont la précision des détails, précieuse pour l’historien, nous montre bien que le narrateur refait en esprit des voyages qu’il fit autrefois en compagnie de François. » (Saint François, Documents, p. 871-872).

Ce ms. de Pérouse (117 chapitres couvrant 116 pages dans Documents…) est souvent proche du Speculum (124 chapitres couvrant 152 pages dans Documents…) et son ton est souvent plus abrupt. Ces deux sources sont largement préférables aux traditionnels Fioretti, aux Vita de Celano et aux Legenda de Bonaventure, etc. Trois extraits donnent le parfum d’histoires simples peu susceptibles d’être inventées :

LES RAISINS. Chapitre 5. [Documents…, p. 877] A une certaine époque, alors que le bienheureux François séjournait dans le même couvent, il y avait un frère, homme de vie intérieure profonde, et déjà ancien dans l'Ordre, qui était très faible et malade. En le considérant, le bienheureux Fran­çois fut ému de pitié. Mais les frères, à cette époque, malades ou bien portants, accueillaient avec joie et patience la pauvreté qui leur tenait lieu d'abondance. Malades, ils refusaient les remèdes ; au contraire ils s'ingéniaient à faire ce qui était contraire à leur santé. Le bienheureux François se dit donc en lui-même : « Si, de bon matin, ce frère mangeait des raisins mûrs, je crois que cela lui ferait du bien. ». Un jour il se leva sans bruit, de grand matin, appela ce frère, et le conduisit dans une vigne proche de l'église. Il choisit un cep où les grappes étaient belles et bonnes à manger. S'asseyant près de la vigne avec ce frère, il se mit à manger des raisins, pour que le frère n'ait point honte d'en prendre seul. Tout en mangeant, le frère louait le Seigneur Dieu. Tant qu'il vécut, il rappelait souvent, parmi les frères, avec beaucoup d'émotion et de dévo­tion, cette délicatesse du Père à son égard.

CLAIRVOYANCE. Chapitre 30. [p. 904-905]. Un jour, le bienheureux François voyageait avec un frère d'Assise, homme de vie intérieure, originaire d'une famille noble et riche [probablement frère Léonard d’Assise]. Le saint, qui était faible et malade, montait un âne. Le frère, fatigué de la route, se mit à ruminer et à dire en lui-même : « Sa famille ne pouvait se comparer à la mienne, et maintenant c'est lui qui est en selle, et mot je le suis à pied, bien fatigué, aiguillonnant sa bête. » Il en était là de ses pensées quand tout à coup le bienheureux descendit de son âne et lui dit : « - Frère, il n'est ni juste ni convenable que je sois monté alors que toi tu vas à pied, car dans le monde tu étais plus noble et plus riche que moi. »

LES LIVRES. Chapitre 73. [p. 947]. Une autre fois, comme le bienheureux François était assis près du feu et se chauffait, ce frère [un frère novice « qui savait lire le psautier, mais pas très bien », v. ch. 70] vint le relancer avec son psautier. Le saint lui répondit : «Et quand tu auras un psautier, tu voudras un bréviaire ; et quand tu auras un bréviaire tu t'installeras dans une chaire comme un grand prélat, et tu commanderas à ton frère : Apporte-moi mon bréviaire ! » Ce disant, tout emporté par la passion, il prit de la cendre au foyer, la répandit sur sa tête, et il s'en frictionnait en répétant : « Le voilà, le bréviaire ! » Le frère en resta tout ébahi et honteux. Après quoi le bienheureux lui dit : « Moi aussi, frère, j'ai été tenté d'avoir des livres ; mais pour connaître sur ce point la volonté de Dieu, j'ai pris le livre des Evangiles et j'ai prié le Seigneur de me faire connaître, à la première page que j'ouvri­rais, ce qu'il voulait de moi. Ma prière terminée, j'ouvris le livre et tombai sur ce verset : « A vous il a été donné de connaître le mystère du royaume de Dieu, aux autres cela n'est donné qu'en paraboles ».

 (PÉNITENCE ET VERTU DE DISCRÉTION).

1. [Premier chap. du ms. de Pérouse, dans Documents…, p. 873]. Le bienheureux François, aux débuts de l'Ordre, c'est-à-dire à l'époque où il commençait à réunir autour de lui quelques frères, demeurait avec eux à Rivo Torto [sur la route de Foligno, à un kilomètre et demi de la Portioncule]. Une fois, vers minuit, tous étaient en train de dormir sur leurs pauvres paillasses, lorsqu'un des frères se mit à crier : « Je meurs! Je meurs! » Le bienheureux François se leva et dit : « Debout, frères ; donnez de la lumière! », Un flambeau fut allumé et le bienheu­reux François demanda : « Qui a crié : Je meurs? »

Un frère dit : « C'est moi! »

Et le bienheureux François lui dit : « Qu'as-tu, frère? De quoi meurs-tu? »

- « Je meurs de faim », dit-il­.

Le bienheureux François, en homme plein de charité et de discrétion, ne voulut pas que le frère rougît de manger seul. Il fit sur-le-champ préparer un repas auquel tout le monde prit part. Il faut dire que ce frère, et les autres comme lui, étaient de nouveaux convertis et infligeaient à leur corps d'excessives pénitences.

Après le repas, le bienheureux François dit aux autres frères : « Mes frères, le vous le dis, que chacun tienne compte de son tempérament. Si, l'un de vous peut se soutenir avec moins de nourriture qu’un autre, je ne veux pas que celui qui a besoin de manger davantage s'efforce d'imiter le premier. Que chacun tienne compte de son tempérament et donne à son corps ce qui lui est nécessaire.

(DÉLICATESSE ENVERS UN MALADE).

5. [p. 877] A une certaine époque, alors que le bienheureux François séjournait dans le même couvent, il y avait un frère, nomme de vie intérieure profonde, et déjà ancien dans l'Ordre, qui était très faible et malade. En le considérant, le bienheureux Fran­çois fut ému de pitié. Mais les frères, à cette époque, malades ou bien portants, accueillaient avec joie et patience la pauvreté qui leur tenait lieu d'abondance. Malades, ils refusaient les remèdes ; au contraire ils s'ingéniaient à faire ce qui était contraire à leur santé. Le bienheureux François se dit donc en lui-même : « Si, de bon matin, ce frère mangeait des raisins mûrs, je crois que cela lui ferait du bien. ». Un jour il se leva sans bruit, de grand matin, appela ce frère, et le conduisit dans une vigne proche de l'église. Il choisit un cep où les grappes étaient belles et bonnes à manger. S'asseyant près de la vigne avec ce frère, il se mit à manger des raisins, pour que le frère n'ait point honte d'en prendre seul. Tout en mangeant, le frère louait le Seigneur Dieu. Tant qu'il vécut, il rappelait souvent, parmi les frères, avec beaucoup d'émotion et de dévo­tion, cette délicatesse du Père à son égard.

(FRERE JEAN LE SIMPLE).

19. [p. 891-893] Un jour, le bienheureux François entra dans l’église d’un village situé sur le territoire d’Assise, et se mit à la balayer. La nouvelle s’en répandit aussitôt dans le village, car les habitants avaient toujours plaisir à le voir et à l’écouter. Un certain Jean, homme d'une admirable simplicité, qui labourait son champ voisin de l'église, averti de son arrivée, alla le trouver pendant qu'il balayait. Et il lui dit : « Frère, je veux t'aider, donne-moi ton balai ! » Il lui prit le balai et acheva la besogne. Puis ils s'assirent, et cet homme dit au bienheureux François : « Depuis longtemps, ma volonté est de servir Dieu, surtout depuis que j'ai entendu parler de toi et de tes frères ; mais je ne savais comment te trouver. Puisque le Seigneur a bien voulu ménager notre rencontre, je veux faire tout ce qu'il te plaira. » A voir tant de ferveur, le bienheureux François se réjouit dans le Seigneur, surtout qu’il n’avait encore que peu de frères et que cet homme, avec sa pure simplicité, lui semblait devoir faire un bon religieux. Et il lui dit : « Frère, si tu veux partager notre vie et t'associer à nous, tu dois te dépouiller de tout ce que tu peux avoir honnêtement acquis, et le donner aux pauvres selon le conseil du saint Evangile. C'est là ce qu'ont fait aussi ceux de mes frères qui le pouvaient. » Aussitôt l'homme courut au champ où il avait laissé ses boeufs, les détela et en amena un devant le bienheureux François.  « Frère, lui dit-il, voilà bien des années que je suis au service de mon père et de tous ceux qui vivent à la maison. Ce bœuf n'est qu'une petite partie de l'héritage qui me revient. Je veux que tu le prennes et que tu le donnes aux pauvres de la manière qui, selon Dieu, te paraîtra la meilleure. »

Voyant qu'il se disposait à les quitter, ses frères encore tout petits, et tous ceux de la maison se mirent à pleurer très fort et à gémir très haut. A ce spectacle, le bienheureux François fut ému de pitié, d'autant plus que cette famille était nombreuse et sans ressources. Il leur dit : « Préparez un repas : nous mangerons ensemble ; et ne pleurez plus, car je vais vous rendre la joie ». Tout le monde aussitôt s'affaira, et le repas se déroula dans l'allégresse générale. Quand il fut terminé, le bienheureux François leur dit : « Votre fils que voici veut servir Dieu ; vous ne devez pas vous en attrister mais vous en réjouir. C'est un honneur pour vous, non seulement aux yeux de Dieu, mais encore aux yeux du monde. Vous en tirerez profit pour vos âmes et pour vos corps ; Dieu sera honoré par quelqu'un de votre rang ; et tous nos frères désormais seront aussi et vos fils et vos frères. Puisqu'une créature de Dieu, que voilà, veut servir le Créateur, et puisque être serviteur de Dieu c'est être roi2, je ne peux pas et je ne dois pas vous rendre votre enfant. Mais pour que vous receviez et conserviez de lui quel­que consolation, et puisque vous êtes pauvres, je, veux qu'il se dépouille de ce boeuf en votre faveur, bien que, suivant le conseil du saint Evangile, il devrait plutôt le donner à d'autres pauvres. » Ils furent tous bien aises de ces paroles et, comme ils étaient pauvres, se réjouirent surtout de ce que le boeuf leur fût rendu.

Le bienheureux François, qui aima toujours la pure et sainte simplicité en lui et chez les autres, se prit d'affection pour Jean, il lui donna l'habit et se l'adjoignit aussitôt pour compagnon. Ce frère était tellement simple qu'il se croyait tenu de faire tout ce que faisait le bienheureux François. Quand celui-ci était dans une église, le frère voulait le voir et l'observer pour se conformer à toutes ses attitudes : s'il faisait une génu­flexion ou levait au ciel ses mains jointes, s’il crachait ou s’il toussait, le frère reproduisait ses gestes. Le bienheureux Fran­çois très amusé de cette simplicité, entreprit pourtant de le réprimander. Mais l'autre répondit : « Père, j'ai promis de faire tout ce que tu ferais ; Je veux donc faire tout ce que tu fais! » Et le bienheureux François était dans l'admiration et dans la joie de voir une telle pureté et simplicité. Ce frère fit de tels progrès en toutes vertus et en sainteté, que François et les autres frères demeuraient stupéfaits devant tant de per­fection. Peu de temps après il mourut, sans avoir dévié de cette sainte perfection. C'est pourquoi le bienheureux François, avec une grande joie intérieure et extérieure, racontait sa vie aux frères et l'appelait non pas « frère Jean », mais « saint Jean ».

 (REPAS AVEC UN LEPREUX)

22. [p. 895-896]. Un jour que le bienheureux François était revenu à l'église Sainte-Marie de la Portioncule, il y trouva frère Jacques le Simple en compagnie d'un lépreux couvert d'ulcères qui, ce jour-là, était venu jusqu'à l'église. Le saint Père lui avait ins­tamment recommandé ce lépreux avec ceux qui étaient le plus rongés par la lèpre. En ce temps-là, en effet, les frères habi­taient dans les léproseries. Ce frère Jacques était comme le médecin des plus atteints et, de tout son coeur, il frottait, nettoyait et pansait leurs ulcères.

Le bienheureux François dit au frère Jacques sur un ton de reproche : « Tu ne devrais pas faire sortir nos frères chré­tiens, car cela n'est bon ni pour toi ni pour eux. » - Frères chrétiens : c'était le nom qu'il donnait aux lépreux. - II fit cette remarque, malgré sa joie de voir le frère les aider et les servir, d'abord parce qu'il ne voulait pas qu'il fit sortir de leur hôpital les plus malades ; ensuite parce que le frère était très simple et amenait souvent quelques lépreux à l'église Sainte­-Marie ; enfin parce que les hommes, d'habitude, ont horreur de ces malheureux tout couverts de plaies.

Le bienheureux n'eut pas plus tôt prononcé ces paroles qu'il s'en repentit. Sur-le-champ il alla confesser sa faute au frère Pierre de Catane qui était alors Ministre général, car il pensait qu'en réprimandant le frère Jacques il avait méprisé et contristé le lépreux ; c'est pourquoi il confessa sa faute, avec l'intention de la réparer devant Dieu et devant le lépreux.

Il dit donc au frère Pierre : « Je te demande d'approuver, et surtout de ne pas me refuser, la pénitence que je veux faire. Pierre répondit : « Comme il te plaira, frère. » Il avait pour le bienheureux tant de vénération, de crainte et de soumission, qu'il ne voulait jamais rien changer à ses ordres ; et pourtant, en cette circonstance comme en beaucoup d'autres, il était affligé intérieurement et extérieurement. Le saint lui dit : « Ma pénitence sera de manger avec mon frère chrétien et au même plat que lui! » Quand il fut assis pour le repas avec le lépreux et les autres frères, on posa une écuelle entre eux deux. Or le lépreux était tout couvert de plaies et d'ulcères! Ses doigts, dont il se servait pour manger, étaient rongés et sangui­nolents, si bien que lorsqu'il les portait à l'écuelle, il en dégout­tait du sang. A cette vue, le frère Pierre et les autres frères étaient fort attristés, mais ils n'osaient rien dire, par crainte du Père. Celui qui écrit ces lignes a vu la scène et il en rend témoi­gnage.

 (PÉNÉTRATION DES CONSCIENCES.)

30. [p. 904-905]. Un jour, le bienheureux François voyageait avec un frère d'Assise, homme de vie intérieure, originaire d'une famille noble et riche [probablement frère Léonard d’Assise]. Le saint, qui était faible et malade, montait un âne. Le frère, fatigué de la route, se mit à ruminer et à dire en lui-même : « Sa famille ne pouvait se comparer à la mienne, et maintenant c'est lui qui est en selle, et mot je le suis à pied, bien fatigué, aiguillonnant sa bête. » Il en était là de ses pensées quand tout à coup le bienheureux descendit de son âne et lui dit : « - Frère, il n'est ni juste ni convenable que je sois monté alors que toi tu vas à pied, car dans le monde tu étais plus noble et plus riche que moi. » Le frère, plein de stupéfaction et de honte, se jeta à ses pieds en pleurant, avoua ses pensées secrètes et reconnut sa faute. Il admira fort la sainteté qui avait immédiatement pénétré sa pensée. Aussi, quand les frères, à Assise, prièrent le seigneur pape Grégoire et les cardinaux de canoniser le bienheureux François, il témoigna devant eux de l'authenticité du fait.

31. Un frère [probablement frère Richer ; épisodes semblables en 2C44bis-45], homme spirituel et ami de Dieu, demeurait au couvent des frères de Rieti. Un beau jour il se leva et, poussé par le désir de voir François et de recevoir sa bénédiction, s'en vint en grande dévotion à l'ermitage des frères de Greccio où résidait alors le bienheureux. Le saint avait déjà pris son repas et réintégré la cellule qu'on avait mise à sa disposition pour la prière et le repos. On était en carême, et le bienheureux ne descendait de sa cellule que pour prendre un peu de nour­riture, et il y retournait aussitôt. Le frère ne le trouva donc pas. Il en fut très peiné, surtout qu'il devait rentrer à son couvent le soir même, et qu'il attribuait ce contretemps à ses péchés. Les compagnons du saint le consolèrent, et le frère se remit en route.

Il n'était pas éloigné d'un jet de pierre, quand le bienheureux François, par la volonté du Seigneur, sortit de sa cellule ; il appela l'un de ses compagnons (celui qui faisait un bout de chemin avec lui jusqu'à la fontaine du lac) et lui demanda : « Dis à ce frère de se tourner vers moi! » Le frère se retourna vers le saint, qui le bénit d'un signe de croix. Plein de joie intérieure et extérieure, il loua le Seigneur qui avait exaucé son désir. Sa consolation fut d'autant plus grande qu'à ses yeux, c'était par la volonté de Dieu qu'il avait reçu cette bénédiction sans l'avoir sollicitée et sans aucune intervention humaine.

(DURANT SA MALADIE).

40. [p. 914-915]. Au temps où il passait le carême de la Saint-Martin dans un ermitage, les frères, à cause de sa maladie, accommodaient au lard les aliments, car l'huile l'incommodait beaucoup. A la fin du carême, comme il prêchait à une grande foule rassemblée non loin de l'ermitage, il commença par ces mots : «Vous venez à moi avec grande dévotion et vous me croyez un saint homme ; mais je confesse à Dieu et à vous que, durant le carême que j'ai passé dans cet ermitage, j'ai mangé des légumes au lard !

Il lui arrivait parfois, quand il mangeait avec les frères ou les amis des frères, de se relâcher un peu de ses mortifications corporelles à cause de ses maladies, mais aussitôt, dans la maison ou hors de la maison, il proclamait devant les frères et même devant les séculiers qui ignoraient ce détail : « J'ai mangé telle ou telle chose. » Car il ne voulait pas cacher aux hommes ce qui était connu de Dieu. S'il lui arrivait, en com­pagnie de religieux ou de séculiers, d'avoir l'esprit troublé par la vaine gloire, l'orgueil ou un autre vice, il sen confessait aussitôt à eux, simplement et sans rien dissimuler. II dit un jour à ses compagnons : « Près de Dieu, dans les ermitages ou les autres couvents où le séjourne, je veux vivre comme si les hommes me voyaient. Puisqu'ils me prennent pour un saint, je serais un hypocrite si je ne menais pas la vie qui convient à un saint ! »

Une fois, en hiver, pour remédier à sa maladie de la rate et à sa froideur d'estomac, un de ses compagnons, qui lui servait de gardien, se procura une peau de renard et lui demanda la permission de la lui coudre sous sa tunique à l'endroit de la rate et de l'estomac. II faisait alors grand froid. Or, depuis qu'il était au service du Christ, le bienheureux François ne consen­tait à porter en tout temps - et il en fut ainsi jusqu'à sa mort - qu'une seule tunique, quitte à y coudre une pièce s'il voulait la renforcera. Le saint répondit : « Si tu veux que je porte cette peau sous ma tunique, fais-en coudre aussi un morceau à l'extérieur afin qu'on sache bien que je porte une fourrure sous mon habit ». Ainsi fut fait. Mais le bienheureux ne la porta pas longtemps, bien qu'elle lui fût très nécessaire à cause de ses infirmités.

(DETACHEMENT ET GENEROSITE).

55. [p. 929-930]. Dans les commencements de l’ordre un pauvre se présenta pour demander l'aumône au bienheureux François. Le saint dit à celui qui devait être le troisième frère, quitta le siècle pour partager leur vie. Il demeurait là depuis quelques jours, vêtu des habits qu’il avait apportés avec lui, quand un pauvre se présenta pour demander l’aumône au bien heureux François. Le saint dit à celui qui devait être le troisième frère : « Donne ton manteau au frère pauvre. » Aussitôt, avec joie, celui-ci s'en dépouilla et le donna au pauvre. Et l'on vit bien qu'en cette circonstance le Seigneur lui avait mis au cœur une grâce nouvelle, puisqu'il avait donné son manteau avec joie.

56. Une autre fois, comme il séjournait à Sainte-Marie de la Portioncule, une pauvre vieille femme qui avait ses deux fils dans l'Ordre, vint à ce couvent demander l'aumône au bienheu­reux François, car cette année-là elle n'avait pas de quoi vivre. Le bienheureux dit au frère Pierre de Catane qui était alors Ministre général : « Pouvons-nous trouver quelque chose pour notre mère ? » (Car il disait que la mère d'un frère était sa mère, et la mère de tous les frères de l'Ordre). Le frère Pierre répondit : « Nous n'avons rien dans la maison que nous puis­sions lui donner, surtout qu'il lui faudrait une aumône assez considérable pour la mettre hors de besoin. Toutefois, à l'église, il y a un Nouveau Testament où nous lisons les leçons à Matines. » En ce temps-là, en effet, les frères n'avaient pas de bréviaires, et seulement quelques psautiers. Le bienheureux François lui répondit : « Donne à notre mère le Nouveau Testament ; elle le vendra pour subvenir à ses besoins. Je crois fermement que nous ferons, au Seigneur et à la bienheureuse Vierge sa mère, plus de plaisir à le donner qu'à le lire ». Et on le donna. On peut dire et écrire du bienheureux François ce qu'on dit et lit de Job : « La bonté est sortie du sein de ma mère et a grandi en même temps que moi ». (Job, 31, 18).

(LE NOVICE ET SON PSAUTIER).

73. [p. 946-947]. Une autre fois, comme le bienheureux François était assis près du feu et se chauffait, ce frère vint le relancer avec son psautier. Le saint lui répondit : «Et quand tu auras un psautier, tu voudras un bréviaire ; et quand tu auras un bréviaire tu t'installeras dans une chaire comme un grand prélat, et tu commanderas à ton frère : Apporte-moi mon bréviaire! » Ce disant, tout emporté par la passion, il prit de la cendre au foyer, la répandit sur sa tête, et il s'en frictionnait en répétant : « Le voilà, le bréviaire! » Le frère en resta tout ébahi et honteux.

Après quoi le bienheureux lui dit : « Moi aussi, frère, j'ai été tenté d'avoir des livres ; mais pour connaître sur ce point la volonté de Dieu, j'ai pris le livre des Evangiles et j'ai prié le Seigneur de me faire connaître, à la première page que j'ouvri­rais, ce qu'il voulait de moi. Ma prière terminée, j'ouvris le livre et tombai sur ce verset : A vous il a été donné de connaître le mystère du royaume de Dieu, aux autres cela n'est donné qu'en paraboles. » Et il ajouta : « Nombreux sont ceux qui désirent s'élever jusqu'à la science, mais bienheureux celui qui préfère y renoncer pour l'amour du Seigneur Dieu! »

74. Quelques mois plus tard, pendant un séjour du bienheu­reux François à Sainte-Marie de la Portioncule, il se trouvait un jour près de sa cellule sur la route qui passe derrière la maison, quand ce frère revint encore lui parler de son psautier. Le saint lui dit : « Va, et fais ce que ton Ministre te dira. Là-dessus, le frère s'en retourna par où il était venu. Le bien­heureux François était resté sur la route, réfléchissant à ce qu'il avait dit au frère. Tout à coup il lui cria : •, Attends, frère, attends! » Il le rejoignit et lui dit : « Reviens avec moi, et montre-moi l'endroit où je t'ai dit, pour ton psautier, de faire ce que te dirait ton Ministre. » Ils y revinrent, le bienheureux se mit à genoux devant le frère et lui dit : « Mea culpa, frère, mea culpa : quiconque veut être Frère mineur ne doit posséder que la tunique accordée par la Règle, la corde et les caleçons, plus les chaussures si la nécessité ou la maladie l'exigent. »

(COMMENT IL RENONÇA A SON OFFICE A LA TETE DE L'ORDRE A CAUSE DES MAUVAIS SUPERIEURS).

Chapitre 41 du Miroir de Perfection, p. 1046.

Interrogé une fois par un frère qui lui demandait pour­quoi il avait abandonné la charge des frères et les avait livrés à d'autres mains comme s'ils ne lui étaient rien, il répondit : « Mon frère, j'aime les frères autant qu'il est possible, mais s'ils suivaient mes traces je les aimerais bien davantage et je ne me serais pas rendu étranger à eux. II y a certains supé­rieurs qui les mènent d'un autre côté, ils leur proposent l'exem­ple des anciens [les anciens fondateurs d’ordres, saint Benoît, saint Augustin et saint Bernard], et tiennent mes enseignements pour peu de chose, mais ce qu'ils font et la façon dont ils agissent appa­raîtra clairement à la fin. »

Peu après, devenu plus gravement malade, il se dressa sur son lit et, avec véhémence, s'écria : « Quels sont ceux qui ont volé mon Ordre et mes frères entre mes mains. Si je vais au chapitre général je leur montrerai ma volonté. » ~,

Chapitre 46 du Miroir, p. 1051.

(COMMENT, JUSQU'A SA MORT, IL VOULUT AVOIR UN GARDIEN PRIS PARMI SES COMPAGNONS ET VIVRE SOUS SON AUTORITÉ).

Voulant vivre dans l'humilité parfaite et la soumission jusqu'à sa mort, longtemps avant celle-ci, il dit au ministre général : « Je veux que tu délègues ton autorité sur moi à un de mes compagnons auquel j'obéirai à ta place, en raison du bon effet de l'obéissance je veux que, dans la vie et dans la mort, tu restes toujours avec moi. »

Dès lors, jusqu'à sa mort, il eut pour gardien un de ses compagnons auquel il obéissait à la place du ministre général. Un jour même il dit à ses compagnons : « Le Seigneur m'accordé, entre autres grâces, celle d'obéir aussi ponctuelle­ment au novice qui entrerait aujourd'hui dans l'Ordre s'il m'était donné pour gardien, qu'au plus ancien et plus âgé de l'Ordre. En effet le subordonné doit considérer son supé­rieur non comme un homme mais comme Dieu pour l'amour duquel il est soumis à son autorité. » Plus tard il ajouta : « Si je le voulais le Seigneur me ferait craindre de mes frères plus qu'aucun supérieur de ce monde ne l'est de ses subordonnés. Mais le Seigneur m'a fait la grâce d'être content de tout, comme le plus petit dans l'Ordre. »

[1]

 



[1]  Saint François d’Assise, Documents / Ecrits et premières biographies, rassemblées et présentés par les PP. T. Desbonnets et D. Vorreux, Ed. Franciscaines, Paris, 1968 ; P. Gratien, Histoire de la fondation et de l’évolution de l’ordre des Frères Mineurs au XIIIe siècle, Paris & Gembloux, 1928 ; Gli scritti di Francisco e Chiara d’Assisi, Assisi, 1978 ; Iacopone da Todi, Laude (reprint a cura di Franco Mancini), Laterza, 1977.